Une saucisse de soja est-elle encore une « saucisse » ? La dénomination des substituts végétaux au menu de la Cour de Justice

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Un État membre peut-il interdire l'utilisation de dénominations associées à des produits animaux, telles que « saucisse » ou « steak », pour des substituts végétaux ? La Cour de justice répond par l'affirmative, mais uniquement si l'État membre légifère sur l'utilisation du nom de ces produits carnés (par exemple « saucisse »).

L'émergence des aliments d'origine végétale et leur dénomination font l'objet d'un débat mondial : ces produits peuvent-ils porter des noms tels que « saucisse de soja » ou « steak végétal », ou ces appellations liées à la viande sont-elles réservées aux produits d'origine animale classiques ? Alors que certains États membres de l'UE (comme l'Italie et la Pologne) veulent interdire l'utilisation de ces noms pour les aliments d'origine végétale, d'autres (comme l'Allemagne et les Pays-Bas) viennent d'autoriser explicitement leur utilisation.

La France a choisi de rejoindre le premier groupe. Par un décret de 2022 (modifié en 2024), elle a interdit l'utilisation de dénominations associées à des produits d'origine animale pour décrire, commercialiser ou faire la publicité de produits alimentaires à base de protéines végétales. Toutefois, cette interdiction française ne s'applique pas aux produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre ou dans un pays tiers.

Certaines entreprises et organisations végétaliennes et végétariennes ont contesté cette décision devant le Conseil d'État français. Elles considèrent que cette question est déjà régie par le règlement (UE) n° 1169/2011 « concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires »1 et que la France n'est donc pas autorisée à imposer des règles supplémentaires en la matière. Selon elles, ce règlement de l'UE autorise l'utilisation de dénominations liées à la viande pour les produits végétaux, à condition qu'il soit clairement indiqué que le produit contient des protéines végétales au lieu de protéines de viande. Le Conseil d’État réfère donc à la Cour de justice2 un certain nombre de questions préjudicielles à ce sujet.

La Cour précise que, contrairement aux produits laitiers3 , par exemple, l'Union européenne n'a pas adopté de dénominations légales pour les produits carnés (à quelques exceptions près). Dans ce cas, le règlement (UE) n° 1169/2011 permet aux opérateurs de choisir librement une dénomination, pour autant : (i) qu'elle ne soit pas trompeuse ; et (ii) qu'il s'agisse de la dénomination usuelle du produit ou d'une dénomination descriptive. En outre, le règlement prévoit que lorsqu'un composant ou un ingrédient dont les consommateurs s'attendent à ce qu'il soit normalement présent dans le produit (par exemple, les protéines animales) a été remplacé par un autre ingrédient (par exemple, les protéines végétales), cette substitution doit être clairement indiquée sur l'étiquette. Toutefois, cette clarification n’apporte aucune aide dans le cas où une dénomination légalement définie a été utilisée.

Lorsqu'aucune dénomination légale n'a été adoptée et que la dénomination remplit les conditions mentionnées ci-dessus, il existe, selon la Cour, une présomption réfragable que le consommateur est suffisamment protégé. Ainsi, la France ne peut pas décider, par exemple, que le terme « saucisse de soja » est trompeur. Cependant, la Cour précise que l'autorité nationale pourra réfuter cette présomption au cas par cas en démontrant que les modalités concrètes de vente ou de promotion d’une denrée alimentaire induisent en erreur le consommateur.

La Cour précise que les États membres sont autorisés à adopter des « dénominations légales » pour certaines denrées alimentaires, pour autant que l'UE n'ait pas encore adopté de dénominations légales pour ces produits. Ainsi, un État membre peut légiférer quels produits peuvent être appelés « saucisses » (par exemple, les produits contenant un pourcentage minimum de protéines animales) et, par conséquent, lesquels ne peuvent pas l'être. Le résultat peut être le même, mais l'orientation précise de la règle nationale peut donc déterminer si elle est conforme ou non au droit communautaire.

La Cour conclu que l’interdiction française ne peut être considérée comme une « adoption d’une dénomination légale » car cela implique normalement qu’un produit soit défini en liant une expression spécifique à une denrée alimentaire précise. Dans le cas présent, l’interdiction française se limite à interdire l’utilisation de noms usuels ou descriptifs pour des produits carnés à des aliments d’origine végétale. En l’absence d’une définition légale des dénominations spécifiques liées à la viande (comme « saucisse »), la France ne peut pas interdire de manière générale et abstraite aux fabricants d’attribuer à leurs aliments cette dénomination usuelle ou descriptive.

En résumé, la Cour permet aux États membres de définir légalement des termes spécifiques tels que « saucisse » et « steak », et ainsi d’interdire indirectement l’utilisation de ces termes pour d’autres produits (végétaux). Tant qu’il n’y a pas une définition légale, il n’est donc pas interdit de désigner une saucisse de soja comme une « saucisse ».

  • 1Règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires.
  • 2Cour de justice 4 octobre 2024, C-438/23, Protéines France et autres.
  • 3Règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles définit, par exemple, ce que l'on entend par « beurre ».