La protection des consommateurs contre la publicité cachée: la publicité rédactionnelle comprend la publicité payée avec de l'argent ou avec d'autres avantages financiers
Le contenu éditorial des médias pour lesquels une entreprise a payé afin de faire de la publicité pour son produit doit être identifiable en tant que tel par les consommateurs. La Cour de justice de l’Union européenne(1) a jugé que ce « paiement » comprend non seulement des sommes d'argent mais aussi tout autre avantage financier (quelle que soit sa valeur ou sa part des frais) que l'entreprise donne en échange de la publication.
Le magasin de vêtements Peek & Cloppenburg (« P&C ») de Düsseldorf a mené une campagne publicitaire nationale dans le magazine de mode Grazia, invitant les lecteurs de Grazia à une « soirée shopping » privée appelée « Grazia StyleNight by Peek & Cloppenburg ». Cette publicité comprenait des photos montrant les façades des magasins P&C avec le nom « Peek & Cloppenburg » en publicité lumineuse. Les photos montraient également des produits vendus par P&C Düsseldorf dans le cadre de l'événement. P&C Düsseldorf avait cédé gratuitement à Grazia les droits d'utilisation des photos pour cette publication et avait mis à disposition ses magasins et son personnel pour l'organisation de la campagne publicitaire. Les frais ont également été supportés par les deux organisateurs, P&C Düsseldorf et Grazia.
P&C Hamburg, une autre filiale juridiquement et économiquement indépendante de P&C Düsseldorf, a considéré que P&C Düsseldorf se livrait à une pratique commerciale déloyale interdite parce qu'elle plaçait une publicité qui n'était pas identifiable en tant que telle. Selon P&C Hamburg, cette publicité enfreignait l'article 3 de la Loi allemande contre la concurrence déloyale (« Gesetz gegen den unlautern Wettbewerb »), lu en combinaison avec le point 11 de l'annexe à cette loi, selon lequel « l'utilisation, financée par un entrepreneur, d'un contenu rédactionnel pour faire de la publicité pour un produit sans que cela ne ressorte du contenu ou de la présentation visuelle ou sonore (advertorial) » est toujours inadmissible. Cette disposition est une transposition de l'article 5, paragraphe 5, et du point 11 de l'annexe 1 de la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales2 qui considère comme trompeux en toutes circonstances: « Utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d’un produit, alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l’indiquer clairement dans le contenu ou à l’aide d’images ou de sons clairement identifiables par le consommateur (publi-reportage) [...] ». En Belgique, cette règle a été transposée à l'article VI.100, °11 du Code de droit économique.
Après plusieurs procédures devant les juridictions inférieures, l'affaire a finalement été portée devant le Bundesgerichtshof allemand, qui a posé une question préjudicielle à la Cour de justice. La juridiction de renvoi souhaitait savoir (1) si la condition de « paiement » figurant au point 11 de l'annexe I de la Directive sur les pratiques commerciales déloyales s'étend à toute forme de contrepartie donnée par le professionnel concerné et à tout avantage économique qu'il procure en vue de la publication d'un article (et donc pas seulement au paiement d'une somme d'argent) et, dans l'affirmative, si (2) une telle contrepartie doit être fournie en échange direct de cette publication.
La Cour de justice a confirmé en première instance que la publication en question constituait bien une pratique commerciale au sens de la Directive sur les pratiques commerciales déloyales, puisqu'il s'agissait de l'annonce d'une campagne publicitaire faisant partie de la stratégie commerciale de P&C Düsseldorf pour la vente de vêtements et la fidélisation de la clientèle. Le fait qu'il y ait eu une coopération avec une société de médias (Grazia) et que la campagne publicitaire visait également la vente de ses produits n'y change rien.
En outre, la Cour a souligné que la Directive sur les pratiques commerciales déloyales vise à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, notamment en corrigeant l'importante asymétrie d'information et de compétence entre le professionnel et le consommateur. Le point 11 de l'annexe 1 de la directive concrétise cet objectif. En effet, elle oblige les entreprises à informer clairement le consommateur qu'elles ont exercé une influence (par le biais d'un « paiement ») sur la publication, dans leur intérêt commercial. L'objectif de cette règle est donc de protéger le consommateur et la confiance que les lecteurs placent dans la neutralité de la presse. De ce point de vue, la forme concrète du « paiement », par le versement d'une somme d'argent ou de toute autre contrepartie ayant une valeur monétaire, est sans importance. Dans les deux cas, une influence est exercée, dont le consommateur doit être informé.
Au demeurant, cette règle perdrait son intérêt pratique si elle ne concernait que le paiement d'une somme d'argent. Après tout, il est courant aujourd'hui (ce que l'on appelle le « marketing d’influence ») que des consommateurs apparents partagent des messages (publicitaires) sur les médias sociaux, les forums ou les blogs à propos des produits des entreprises, tout en recevant des biens, des services ou d'autres avantages de ces mêmes entreprises pour avoir partagé ces messages, et pas nécessairement (et uniquement) des sommes d’argents.
Ainsi, selon la Cour, il y a un « paiement » au sens du point 11 de l'annexe I de la Directive sur les pratiques commerciales déloyales lorsqu'il y a une contrepartie ayant une valeur financière, peu importe s’il s’agît du versement d'une somme d'argent ou d'une autre contrepartie. La valeur du « paiement » ou sa part dans les frais totaux de la campagne publicitaire ne sont pas non plus pertinentes selon la Cour. De même, le fait que l'entreprise de presse (Grazia) ait supporté elle-même une partie des frais n'exclut pas l'application du point 11.
Il doit cependant y avoir un lien clair entre le « paiement » effectué par le professionnel concerné (l'avantage financier accordé) et le contenu éditorial de cette publication. Tel était le cas de P&C Düsseldorf, qui avait fourni gratuitement des photographies auxquelles étaient attachés des droits d'utilisation (une valeur financière) et sur lesquelles étaient représentés ses locaux et les produits qu'elle vendait (ce qui était destiné à promouvoir la vente de ses produits).
En Belgique aussi, une inquiétude s’est formée autour des informations que les consommateurs reçoivent dans les nouvelles formes de publicité. Les « Recommandations sur le marketing d'influence en ligne » rédigées par le secteur lui-même (FeWeb et le Conseil de la publicité à l'époque) en 2018 sont actuellement en cours de révision en coopération avec le ministre de la consommation. L'accent serait mis sur la communication claire du fait qu'il existe une relation commerciale entre l'influenceur et l'entreprise (par exemple, par le biais de hashtags). En outre, la responsabilité des influenceurs, des agences et des clients serait également plus clairement définie dans ces nouvelles recommandations.3
Notes de bas de page:
1 Arrêt de la Cour du 2 septembre 2021, C-371/20. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=245542&pageIndex=0&doclang=NL&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=18599499 2 Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. 3 https://www.feweb.be/nl/nieuws/bericht/2021/04/29/Naar-nieuwe-Influencer-Marketing-Aanbevelingen?originNode=262